Wilbrekin Soupeaulait

Réunis dans la grande salle du Manoir, les compagnons de Dard attendent, impatients, les derniers retardataires, lorgnant de temps en temps avec des yeux goulus vers les grandes tables sur lesquelles a été dressé un plantureux déjeuner.

Tandis qu'ils s'imaginent déjà le festin en vue, quelques coups menus sont donnés à la porte d'entrée qui s'entrouvre pour céder la place au minois de Fanfaronne. Celle-ci a sa tête des bons jours, ce petite sourire fier d'elle et ce regard malicieux qu'elle affiche quand elle pense avoir fait quelque chose de bien.
Intrigué par son attitude, pensant obtenir de sa part une quelconque explication, vous ne remarquez pas tout de suite que, cette explication, l'origine de sa bonne humeur s'avance doucement derrière elle.
Suivant timidement Fanfaronne, vous remarquez un jeune hobbit d'une trentaine d'année, un Pâle, peut-être un peu maigre pour son âge.
Sa chevelure rousse bataillant ferme pour la conquête de son visage, laisse pourtant apercevoir une frimousse dévorée par les taches de rousseur et creusée d'un regard ... vide.
Par « regard vide », nous ne voulons pas dire qu'aucune étincelle d'intelligence ne l'habite, non, il y a bien une lueur vive mais... en veilleuse...
En fait, il n'y a visiblement personne à la maison. Le proprio a, sans doute, on l'espère pour lui, provisoirement quitté les lieux et doit gambader joyeusement, on ne sait où mais loin d'ici.
Ce hobbit là, est de la pire espèce...
C'est un rêveur !

En fait, à cet instant précis, son esprit n'était pas aussi loin que cela, il planait juste là, dans la pièce, par dessus tout le monde puis, s'en retourna dans les rues d'Hibernaville où, quelques heures plutôt, il avait croisé le chemin de Fanfaronne, il songeait aussi au courrier d'invitation envoyé par Demedras qu'il avait précédemment reçu... Bref, il ne suivait en rien la visite guidée du Manoir improvisée par Fanfaronne, enfin, si physiquement, mais pour le reste...

- [...] grande salle [...] décorée par les compagnons. J'ai personnellement réalisé quelques meubles mais la table de déjeuner, c'est Freulon qui l'a dressée ! Il nous gâte beaucoup tu sais. *Fanfaronne regarde en coin, avec plein de reconnaissance un hobbit qui se tient devant les autres, au sommet de la curiosité* Les tableaux sont pour la plus plupart des œuvres d'Amelas [...] On ramène souvent des souvenirs de nos ballades [...] Rhoooo ! Il faudrait que l'on change ces fleurs, elles sont toutes séchées ! [...]

Fanfaronne trottinait à travers le manoir traînant derrière elle un somnambule.

- [...] et là, c'est la salle de réunion et de banquet [...] de quoi manger et boire si tu veux.

D'un coup, la lumière se fit ! Incroyablement vive, deux phares irradiant dans la nuit !
Fanfan venait de capter toute son attention.

- Oh ! *toussote* Et... heu... Il y a de la bière dans ce fût là ?
- Viens plutôt te servir dans ce coffre...

Toute l'assemblée se déplace dans la salle de banquet.

- "Que nous amènes-tu là Fanfan ?", c'est ce moment que Freulon choisit pour s'avancer.
- "C'est un jeune hobbit que j'ai rencontré au festival de Yule !", s'empressa de répondre Fanfaronne. « Il s'appelle Wilkin, il dévorait des tourtes par quatre quand je l'ai croisé et... »
- Mais ton ami ne peut-il se présenter seul ?
- ...
- Peut-être souhaite-t-il boire quelque chose ?
- Oh ! Oui, volontiers ! Je prendrais bien une Brune de Perry !
- Alors Wilkin ... Parle nous de toi ... Qui es-tu ?
- Oh ... Et bien ... heu ... je ... En fait, je m'appelle Wilbrekin, Wilbrekin Soupeaulait mais mes amis, ... tout le monde en fait, m'appelle Wilkin.
En fait, dans la Comté, on me connaissait, le plus souvent, sous le nom de Wilkin Belorge, du nom de mon cousin direct du côté de ma mère. Lui, tout le monde l'appelle Isenric, Isenric Belorge mais moi, je l'appelle Iric !
On a quasi grandi ensemble, suite à la disparition de papa, et c'est à cause de lui que tonton a exigé que je reprenne le nom de Belorge...
Heu.. dites ? Vous n'auriez pas un petit morceau de tourte ? Parce que je grignoterais bien quelque chose moi ... Après quelques pintes, j'aime bien grignoter...
- Bien sûr, si ça te fait plaisir ! Nous en avons de différentes sortes. On peut te propo...
- Merci ! Je vais en prendre une part de chaque, juste pour goûter et faire honneur au cuisinier ! * Wilkin embarque 4 choppes supplémentaires, 5 parts de tourtes et 3 de tartes *
Où en était-che ?
- Tu nous parlais de ta famille et ...
- Ha ouich ! Mon papa, chétait un brav' franc-tenanchier, un franchier comme dit tonton.
Heu... ça vous dérange pas que je mange un peu tout en vous racontant ?!
- ...
- Heu... Bon... Je vais essayer de faire attenchion.
Tonton, il ne s'entendait pas avec papa. Tonton, lui, il était « érudit » et se disputait souvent avec papa sur la beauté de leur vocation respective. C'était rigolo !
Enfin... parfois, parce-qu'il y a des jours où ça plombait drôlement l'ambiance de la famille.
Vous savez comment ça va...
Papa disait que tonton était un « Môsieur je sais tout ! », un foutu donneur de leçons qui regardait les gens de haut, du moins jusqu'à ce qu'il ait vidé 3, 4 bières, que c'était un paresseux qui ne connaissait rien, malgré son « savoir », à la vie saine que doit avoir un hobbit digne de ce nom.
Tonton quand à lui trouvait que ça ne ferait pas de mal à papa de se creuser un peu la cervelle et de sortir son nez de ses semences et de ses casseroles, que s'il avait un peu plus de jugeote, il ne serait pas toujours occupé à ronchonner !
« Ha ça ! » disait tonton, « Il y a toujours un « francier » pour râler... : Gnagnagna... Le père Fourrage a des énigmes vraiment pourries ! Ouais mais pas autant que les tourtes d'Holly Sonnecor ! Mais elle est dégueulasse ta vinasse ! Rembourse moi ma choppe, il y a encore un nain qui a pissé dans la bière ! ... »
Cela faisait partie, comme qui dirait, du folklore familiale.

Et puis, un jour, papa a disparu !
Il était repassé, comme à son habitude, vider quelques cruchons au « Dragon Vert » et là, comme à son habitude, tonton se chauffait la voix en vue d'une possible représentation.
Tonton, il dit toujours :« Le problème quand on se chauffe la voix, c'est qu'à un moment, il faut bien se rafraîchir la gorge, c'est important de pas oublier ! »

Ils étaient donc là, tous les deux et, comme à leur habitude, ils en sont venus à se chamailler.
En général, celui qui avait le dernier mot restait au « Dragon Vert » tandis que l'autre rentrait chez lui en maugréant ou, s'il était d'humeur aventureuse, allait se réfugier au « Lierre Touffu ».
Ce jour là, c'est tonton qui a eu le dernier mot... mais papa n'est pas rentré à la maison, il ne s'est pas rendu non plus au « Lierre Touffu »... On ne sait pas pourquoi... Papa est allé à La Grenouillère, et s'est mis dans un sale état à l'auberge de « La Bûche Flottante ».
*Wilbrekin se tait un moment, visiblement toujours affecté par l'évènement*
C'est... c'est plus loin, dans La Têtardière, vers l'est, qu'on a retrouvé son sac et sa binette... Tout le monde a pensé que papa... que mon papa s'était noyé, qu'il avait été avalé par le marais... Moi, j'ai jamais réussi à me faire à l'idée... La famille a beau dire que je dois me faire une raison... J'y arrive pas... *Wilbrekin pousse un profond soupir*
- Souhaites-tu une tasse de thé pour te remettre ?
- Hmm ? Oh oui ! Avec des muffins ?! Des muffins aux myrtilles si vous avez ?!
*Wilbrekin caresse l'assemblée de son regard. Il semble légèrement pensif mais le regard affligé qu'il affichait quelques instants auparavant s'est effacé. Il a l'air serein et... Oui ! Il sourit !*
Où en était-je ? Ha oui ! Maman a alors décidé de s'installer dans un petit trou coquet près de chez tantine, tonton et cousin Iric, et elle n'en est pour ainsi dire plus jamais sortie.
Tonton, lui, comme je vous l'ai peut-être déjà dit, il était pas « francier » mais érudit et à l'époque, c'était un fameux ménestrel à ce qui parait ... Enfin, quand il avait son luth, qu'il était accordé, qu'ils étaient en bon état tous les deux ... et que les clients des tavernes où il donnait des représentations ne lui avaient pas trop offert de verres et que lui de son coté, il ne s'était pas trop « chauffé la voix »... ben il pouvait être terrible à ce qu'on dit ...
parfois ...
enfin quand ...
ça arrivait quoi !

Toujours est-il qu'un jour, Iric, tandis qu'il travaillait à devenir un bon ménestrel en étudiant le public au « Dragon Vert », ... ça c'est aussi un truc à tonton ça... Il disait toujours :
« Jouer de la musique ?! Rien de plus facile ! N'importe quel hobbit stupide, à peine sortit du trou parental en est capable ! Bien sûr qu'il faut quand même travailler, mais le secret, c'est de connaître le public ! C'est pour ça que je passe tant de temps dans les auberges ! J'étudie ! »
Et je dois dire que tonton, il était plutôt du genre studieux !
Iric aussi d'ailleurs...
C'est comme ça qu'Iric est tombé sur un grand, un cambrioleur du pays de Bree à ce que l'on disait ... Lui en tous cas, se disait bijoutier.
Il était très curieux de découvrir notre belle Comté et Iric est devenu son guide. Il parait qu'ils sont même partis à l'aventure et ont rendu quelques services !
C'est lors d'une de leurs expéditions que le drame s'est produit et que les choses ont changé. Personne n'a jamais su ce qu'il s'était passé exactement...
Ce qui est certain c'est qu'ils se sont aventurés tous les deux dans une grotte infestée d'araignées dans la carrière de Scary et que seul Iric en est ressorti.
Lui, il a raconté que le grand, un certain Mic, Mig ou Meg, je ne sais plus trop, avait glissé et s'était rompu le cou ... Par la suite, il nous a dit que celui-ci s'était retourné contre lui, qu'il avait eu peur et avait fui !
Ce qui est certain, c'est que quelques jours plus tard, le grand est ressorti, le visage couvert de sang, tenant à peine sur ses jambes ... Il a accusé Iric de l'avoir poussé dans le vide, de l'avoir dépouillé puis d'avoir remonté l'échelle qui permettait d'accéder à la sortie et de l'avoir laissé pour mort !
En tous cas, il parait qu'il n'en menait pas large le grand et qu'il avait le moral dans les talons quand il est réapparu ... Depuis, il nous déteste et ne rate pas une occasion pour médire sur les hobbits et nous prendre à partie.
Iric, quant à lui, dès qu'on a commencé à raconter qu'un grand avait eu des problèmes dans le nord et qu'on l'avait retrouvé à moitié mort, ben il a disparu du jour au lendemain !

C'est à ce moment que tonton, m'a dit que je devais reprendre le flambeau ! "Qu'il y avait toujours eu un ménestrel dans la famille Belorge, à chaque génération, et que c'était pas parce que son fils était un irresponsable que ça serait autrement !"
Moi, au départ, je voulais juste être un bon cuisinier et cultiver mes légumes ... être un hobbit quoi ... l'aventure ... J'aimais bien écouter les histoires de tonton ou du vieux Bilbon ... surtout du vieux Bilbon en fait ... mais de là à les raconter moi-même ... et à les vivre !!!

* Wilbrekin pousse un gros soupir. Il en profite pour avaler sa dernière part de tourte et lamper une bière qui se tenait malencontreusement à sa portée. Il lorgne alors d'un regard gourmand vers le plateau sur lequel sont posés quelques muffins à la myrtille, une théière et une tasse de thé fumant. Empoigne celle-ci, attrape un muffin et poursuit son histoire*

Il m'a fallu longtemps avant de m'aventurer dans des régions lointaines...
La Vieille Forêt m'a laissé un souvenir terrifiant !!!

*Visiblement encore sous le choc, il avale son dernier muffin.*

J'ai du aller jusqu'aux Monts Venteux pour réaliser une recette de cuisine !

Heu... Vous auriez encore un ou deux muffins ?

Et puis, un pied devant l'autre, un pas, un second, ... je me suis aventuré plus loin. Le temps a passé, j'ai pris de l'âge et j'ai voulu renouveler mes sources d'inspiration, chanter autre-chose, étudier les épopées humaines, les lamentations elfiques et les chants paillards des nains ...

Entre temps, Iric était réapparu mais il avait changé. Il n'était plus érudit mais franc-tenancier, il n'était plus ménestrel non plus... Il était devenu cambrioleur !
Et ça, ben tonton, il a pas aimé, il était vraiment pas content... Surtout que moi, je suis pas terrible comme ménestrel... Je suis nettement meilleur comme cultivateur et cuisinier mais bon... J'aime quand même ça pour finir...
Alors, Iric et moi avons fait notre trou comme on dit et on a emménagé dans le même quartier ! Et puis, surtout, on est parti ensemble à l'aventure !
Enfin, non, c'est pas vraiment vrai, ou alors pas beaucoup... On a plus passé de temps chez moi ou chez lui à décorer nos habitations, à discuter, à boire des bières, à fumer et à se raconter des histoires qu'à partir à l'aventure...

*Wilkin pousse un nouveau soupir*

Aujourd'hui, Iric a de nouveau disparu... Il a encore du faire des bêtises car sa maison a été scellée...
Quand à moi, et bien je parcours le monde, je découvre peu à peu de nouvelles contrées en Terre du Milieu et je ne m'en sors pas trop mal, je pense...
Je n'ai jamais rejoint de confrérie parce que j'ai l'impression que les grands ne nous prennent pas toujours au sérieux, et puis, ils n'ont pas les mêmes valeurs, c'est une autre culture !
Il y a aussi le fait que j'ai toujours voulu rencontrer mes futurs compagnons dans le feu de l'action, dans une auberge par exemple, autour d'une bonne table !

- Fanfaronne t'a-t-elle parlé de nos règles et des épreuves à réaliser pour devenir un de nos compagnons ?, demanda alors Freulon.

Bon, ben voilà !

Il fallu le temps, je sais...
Depuis, j'ai encore vieilli, je sais...
Mais je voulais que cela corresponde bien à l'idée que j'avais.
(C'est presque ça... )

À présent, je vais pouvoir hanter la gazette !!! Mhouhouhahahaaaaa !

Alors ça

Quelle magistrale présentation

Félicitation pour ce roman fort instructif !

Bravo Wilkin

Ha quelle histoire! j'étais entrain de fumer l'herbe à pipe tellement je trouvais le récit des plus captivants!
Mes chers compagnons, je crois qu'on peut compter à présent un autre bon compagnon champion des histoires digne de Gamgie l'ancien!
Nous avons aussi arpago et donc Pendrago qui se place bien là pour conter et mon cher Brisedur et je crois qu'on est pas en reste concernant Fredoulac et Billinia! Il ya d'autres bons conteurs mais d'autres sont meilleurs musiciens hihi

Ho bien sur moi aussi je sais conter, en fait je crois que conter est l'un des loisirs favoris des hobbits pas vrai?
Bien je suis en tous cas très heureux de compter de si bons compagnons!

Freudon Petitbon

Arpago s'installa sous la tonnelle du dragon vert.
Dans l'air flottait l'enivrante odeur des fleurs de printemps.

De jeunes hobbites aux formes généreuses et à la peau laiteuse s'égayaient à la table voisine. Il laissa vagabonder son regard sur les plantureuses jeunes filles. Les premiers rayons du printemps avaient raccourci leurs jupes et dénudé leurs bras.
Ah ! Quelle belle saison ! Ah...

Sentant qu'il s'échauffait un peu, Arpago avala une gorgée de la bière ambrée qui trônait devant lui. Sa tête se mit à tourner légèrement. Le printanier breuvage, légèrement malté, explosa en mille saveurs contre son palais.
Ah ! Quelle belle saison !

Cette boisson pétillante, ça lui avait donné faim. Il sortit un rôti de porc et quelques tomates de son sac puis les coupa en tranches fines avec sa dague.
Il les enfourna goulument. Les tranches de viandes étaient fondantes et fraiches. Les tomates, juste cueillies, avaient le gout du soleil des premiers beaux jours.
Ah ! Quelle belle saison !

Un sourire vague et béat flottait sur son visage. Ca c'était une vraie vie de hobbit !

Il avisa un journal abandonné sur le banc près de lui. Le titre se détachait en lettres grasses : La gazette des compagnons de Dard.
Il s'en saisit. Pour couronner ce bel après-midi, quoi de mieux qu'un peu de lecture ?
Un long article s'étirait en première page. Ca s'intitulait Wilkin Soupeaulait.
Il en entreprit la lecture.

C'était un joli portrait. Un portrait timide, fragile, hésitant et rêveur, comme son héros. Une histoire enfantine racontée la bouche pleine de muffins. En creux, on devinait l’âme du petit bonhomme à la chevelure rousse en pétard. Cette description lui donnait plus de corps. Plus de chair. Il avait beaucoup attendu pour se dévoiler. Mais ca valait le coup. Parcequ’aujourd’hui, Wilkin existait tout à fait.

Arpago se rendit compte qu’il devenait bête et sentimental. Ca ne lui ressemblait pas. Il commanda une nouvelle bière et se rendit à la table voisine voir si les filles étaient girondes. Au pire, si ça ne marchait pas, il pourrait toujours leur subtiliser quelques pièces.